Deux moutons ont été éventrés la nuit de dimanche à lundi. Il s’agit de la première attaque du loup en plaine vaudoise depuis trois ans.

24 Heures – Publié: 10.02.2022, 19h00

Durant la nuit de dimanche à lundi, deux brebis du troupeau de Joël Fague ont été tuées par un loup.

JEAN-PAUL GUINNARD

«On essaie d’avoir du bétail heureux, mais…» Mais ces jours, les moutons sont confinés dans la ferme de Pierre-André Fague. Quatre jours après la macabre découverte de deux carcasses de brebis éventrées dans la nuit de dimanche à lundi, l’agriculteur de Trey avoue n’avoir pas encore retrouvé un sommeil normal. La tempête qui a traversé la Suisse cette nuit-là n’était pas la seule à faire du grabuge dans le village broyard: un loup a éventré deux moutons du troupeau du paysan de 56 ans. Il y a un mois, une attaque avait déjà été constatée dans la Broye, à Chandon (FR).

«À part une prédation sur un mouton en mai 2019 sur la commune de Paudex, nous n’avons pas connaissance d’autres attaques sur le plateau vaudois.»

Denis Rychner, chargé de communication à la DGE

Sur Vaud, il s’agit de la première attaque du loup en plaine depuis près de trois ans. Quand il avait relié la vallée de Joux depuis le Valais en 2014, le loup M38 avait fait des dégâts à Suchy et Corcelles-sur-Chavornay. «À part une prédation sur un mouton en mai 2019 sur la commune de Paudex, nous n’avons pas connaissance d’autres attaques sur le plateau vaudois», confirme Denis Rychner, conseiller en communication à la Direction générale de l’environnement (DGE).

Dans sa ferme bâtie en 1995, l’agriculteur soupire en montrant la douzaine de moutons de son exploitation, réunis désormais au milieu des vaches allaitantes: «Normalement, ils vivent en liberté autour de la stabulation, de jour comme de nuit, mais là, on les a réduits avec les vaches par sécurité.» Plus loin, trois brebis venant d’agneler sont protégées par un grillage avec leurs petits. Les deux congénères croquées par le loup auraient aussi dû mettre bas ces prochains jours. De peur, deux autres s’étaient déjà cachées au milieu des vaches la nuit de l’attaque.

Personne n’a entendu

Si le voisinage n’a rien entendu durant la nuit en raison des rafales de vent, le premier ovin tué a été découvert par Pierre-André au pied de son silo, lundi. «J’avais rendez-vous avec un marchand de bétail pour charger des bêtes. J’ai fait le tour de la propriété pour retrouver les autres et j’ai vu la seconde brebis ici, entre deux villas, à dix mètres de la chambre à coucher des voisins», déplore le chef d’exploitation.

Ces moutons, ce sont ceux de Joël, son fils de 25 ans. Tout en jouant avec un tout petit agneau, il peste: «Ce serait pire s’il avait tué un veau, mais c’est quand même désolant.» Trois nuits durant, le fils a organisé des rondes de surveillance avec des copains, jusqu’à 1 h du matin.

«Il est revenu cette nuit et il a déplacé la carcasse d’une bonne vingtaine de mètres. Mais il est malin, il vient quand il n’y a plus personne.»

Joël Fague, agriculteur à Trey

Dans le village, plusieurs habitants assurent avoir vu la bête rôder ces derniers jours. Lundi soir peu après 20 h en lisière de forêt. L’animal aurait une tache noire sur le dos. Il aurait aussi traversé la route tout tranquillement mardi matin et été filmé à Mannens (FR) à quelques pas de là, sans montrer la moindre crainte aux lumières automatiques.

Si une carcasse a été emportée par les services de la faune pour une autopsie, la seconde a été placée dans un champ en surplomb de la ferme. «Il est revenu cette nuit et il a déplacé la carcasse d’une bonne vingtaine de mètres. Mais il est malin, il vient quand il n’y a plus personne», poursuit le jeune homme, rappelant que le service vaudois de la faune a aussi patrouillé plusieurs fois de nuit.

Reste que si le constat du cas ne mentionne pas formellement une attaque de loup, mais plutôt celle d’un canidé, le doute n’est guère de mise. En décembre, un loup avait ainsi été observé à quelques kilomètres de là, à Léchelles (FR). Les analyses ADN relevées à Chandon viennent de prouver qu’il s’agissait de l’œuvre de canis lupus. Vu la proximité entre les deux sites, il est probable qu’il s’agisse du même animal. «Des échantillons ont été prélevés pour analyser l’ADN, afin de déterminer s’il s’agit d’un individu déjà connu et, éventuellement, sa provenance», reprend Denis Rychner.

 «Cela s’est passé à quelques mètres des maisons. Forcément, les habitants sont inquiets. Mais on est démunis.»

Aurore Pfister-Estoppey, syndique de Trey

«Cela s’est passé à quelques mètres des maisons. Forcément, les habitants sont inquiets. Mais on est démunis et on s’en remet au service de la faune», commente la syndique Aurore Pfister-Estoppey, voisine des lieux. Également chasseresse et secrétaire de la Diana vaudoise, elle s’inquiète aussi des répercussions sur la faune sauvage.

Questions sans réponse

De leur côté, Pierre-André et Joël se soucient du bétail agricole. «Il n’a peur de rien. Il se promène entre les maisons comme un renard», rumine le patriarche. «D’ici un bon mois, les vaches seront au pré et vêleront en extérieur. Que va-t-il se passer? Pourrait-il entrer dans la ferme pour se servir une prochaine fois? Et si une femelle devait le rejoindre pour former une meute?» s’interroge le fiston.

«Il n’a peur de rien. Il se promène entre les maisons comme un renard.»

Pierre-André Fague, agriculteur

Toujours aucun loup abattu

Observant l’impact des grands carnivores en Suisse, la Fondation Kora a naturellement déjà vu des vidéos de loup traversant des étables, mais ne s’exprime pas sur des documents dont elle ne connaît pas l’origine. «En Suisse, un seul cas a été inventorié, avec le loup M75 aux Grisons. C’est donc extrêmement rare, mais ça peut arriver», lâche Ralph Manz, chargé du monitoring du loup.

Pour l’instant, les éleveurs situés à proximité du lieu de l’attaque ont été informés oralement par le garde-faune. «À ce stade, la mesure principale consiste à rentrer les moutons pour la nuit», informe la DGE. Reste que selon une dernière estimation de Pro Natura, la Suisse compterait 150 loups sur ses terres, chiffre en croissance constante.