TÉMOIGNAGE — Freddy Chevrier est éleveur de moutons à Evolène (VS). Pour lui, le concept loup tel qu’appliqué aujourd’hui est incompatible avec son quotidien.
Quand il entre dans l’enclos, une marée de moutons se rue sur Freddy Chevrier, dans l’attente d’un morceau de pain. «Ça n’est pas comme des animaux domestiques. Mais ce sont nos bêtes, elles sont nées chez nous, on s’est levés la nuit pour les agnelages. Et une partie n’ira pas à la boucherie, on les garde pour renouveler le troupeau. Ce n’est pas de l’argent qu’on veut, c’est nos bêtes.»
Après la confirmation la semaine dernière que c’était bien le loup qui avait dévoré trente moutons dans le val d’Hérens entre mai et juin, l’éleveur a décidé de témoigner de son quotidien. Parce qu’il a l’impression de ne pas être entendu par ceux qui décident des lois et du concept loup. «Ils ne viennent pas ici, voir nos alpages, notre travail. Leurs exigences de protection sont tout simplement inapplicables dans beaucoup de régions du Valais, pour des raisons topographiques, financières et de masse de travail. La plupart des éleveurs travaillent seuls ou avec un berger pour ceux qui en ont les moyens. Il y a les foins à faire en été, le reste des tâches de l’exploitation, c’est impossible de faire ce qu’ils nous demandent.»
Dix-huit pâturages
Propriétaire de 360 têtes, l’Evolénard les fait paître dans dix-huit pâturages au total, dont la plupart sont dans des zones escarpées et en forêt, difficiles d’accès. Ses bêtes en assurent ainsi le nettoyage. «Dans la forêt ou les rochers, dans des zones qui font 1,5?km2, comment voulez-vous installer une barrière électrifiée? Et il y a beaucoup de cervidés ici. Ils se coincent dans les fils et arrachent tout. Il faudrait donc recommencer à chaque fois? Je n’en ai ni le temps ni les moyens.» Selon Freddy Chevrier, qui a repris l’exploitation familiale, l’indemnisation n’est pas non plus une solution. «Encore une fois, on ne veut pas d’argent mais nos bêtes. Et en plus, le système est mal fait. On nous rembourse les animaux retrouvés morts. Mais dans des pâturages comme les nôtres, je ne peux pas chaque soir compter mes moutons. Ni retrouver toutes les bêtes blessées, il y a des endroits inatteignables. Ce n’est qu’au comptage de la désalpe que l’on sait combien il en manque. Mais sans cadavre, pas de dédommagement.»
Selon le moutonnier, les systèmes de protection des troupeaux seraient adaptés à des petits pâturages de plaine, mais pas aux vastes terrains escarpés du Valais. «Les lampes clignotantes sont inenvisageables, avec l’étendue de mes pâturages il en faudrait un camion remorque rien que pour moi, de quoi illuminer tout le val d’Hérens. Même chose pour les chiens. Avec dix emplacements il m’en faudrait dix. Je n’ai pas les moyens de les nourrir ni de les héberger pendant l’hiver. Et avec les chemins touristiques dans la région, il faut faire attention aux morsures. Et garder les moutons la nuit dans un parc électrifié, comme le disent les associations écologistes, n’est pas possible. Le soir, je ne peux pas retrouver 360 bêtes disséminées dans un alpage comme le nôtre. De plus, les moutons mangent la nuit, le soir et le matin. En les enfermant, ils ne prennent pas de poids.» Avant de repartir faire les foins, Freddy Chevrier conclut: «Si on veut des paysans de montagne en Valais, la cohabitation avec le loup est impossible.»
(Le Matin)