Alpes vaudoises – Le caprin raffole du verne, arbuste qui prétérite les petits gallinacés dans leur quête de nourriture. Un test est en cours à La Forclaz.

Le tétras-lyre et la chèvre. S’il s’agissait d’une fable, celle-ci conterait les aventures d’une maman qui pond son œuf sur les hauteurs d’un alpage vaudois. Synopsis: le jeune et fragile oisillon, tout juste sorti de sa coquille, s’empresse de traquer moucherons, fourmis et autres insectes à même d’assurer sa survie dans l’herbe mi-haute du pâturage. C’est là que les vilains arbustes d’aulne vert impénétrables, ou verne, se dressent contre lui. Entre alors en scène la valeureuse et gourmande chèvre, si friande en feuilles et pousses de verne!

Ambiance mélodramatique mise à part, le scénario est assez fidèle à la réalité. Et Jean-Claude Roch et Jean-Pierre Vittoni sont bien décidés à parvenir au même final dans la vraie vie. Le premier est garde-faune dans le Chablais et a tout intérêt à favoriser des pâturages sans verne pour le bien du volatile. Le second est éleveur d’une trentaine de chèvres à La Forclaz et entrevoit une activité intéressante pour son cheptel. Il contribuerait par la même occasion à éradiquer un fléau bien connu des exploitants agricoles.

«Si le verne prolifère, il envahira rapidement l’espace au détriment des myrtilles et des rhododendrons dont se nourrissent les tétras-lyres, prévient Jean-Claude Roch. Le limiter équivaudrait aussi à davantage d’herbage pour les éleveurs. Qui plus est, dans un pays à vocation touristique, la plus-value en termes de paysage serait sensible.»

L’arme absolue

Dans ce contexte, la chèvre s’avère une arme de déboisement massif. «Les moyens mécaniques existent, mais la chèvre mange tout! continue le garde-faune. On peut tronçonner le verne, mais il repoussera. La chèvre s’attaque aux feuilles, mais surtout à l’écorce. La plante sèche et meurt. Je pense qu’il faut compter deux ans pour un résultat radical.»

Le résultat obtenu en deux semaines à l’alpage de la Montagne de Perche, sur les hauts de La Forclaz, parle dans son sens. Dans l’enclos aménagé sur les terres de Roland Daenzer, peu de chose a résisté à l’appétit du troupeau de Jean-Pierre Vittoni. «La Diana Vaud a apporté sa contribution financière à ce projet pilote», précise Jean-Claude Roch.

La section cantonale des chasseurs verrait d’un bon œil une hausse du nombre de tétras-lyres. «Tout chasseur qui veut essayer d’en tirer un doit s’astreindre à un jour d’entretien de son biotope», ajoute-t-il.

Le cheptel de Jean-Pierre Vittoni compte des chèvres chamoisées, des blanches, des boers et des saanens. La bottée affiche toutefois la meilleure cote quand il s’agit de déboiser. «Je vise un troupeau à 100 chèvres que je mettrai à disposition, soit un troupeau de service (lire ci-contre). J’ai déjà des demandes, y compris de la part de sceptiques des débuts. Même la Commune d’Ormont-Dessus dit garder un œil sur le projet.»

Une méthode exigeante

La revanche est belle pour la race caprine. Dans un passé pas si lointain, elle était davantage accusée de détruire le paysage que de contribuer à le préserver. «L’important est de concentrer les chèvres dans les endroits qui le nécessitent et de bien les encadrer. Il ne suffit pas de les laisser seules à l’alpage, où elles finiront par manger d’autres essences à préserver.» Un bon encadrement qui suppose son lot d’exigences pratiques: un parc et des batteries électriques puissantes pour éviter les évasions, un coin pour s’abriter, de l’eau pour s’abreuver.

Gourmande en énergie, la méthode l’est aussi en investissement de départ (1500 fr. environ pour une batterie, par exemple). «Pour l’heure, le Service vaudois de l’agriculture n’offre que de modestes subventions, selon Jean-Claude Roch. Mais j’ai bon espoir qu’au fil des ans, en récoltant des données et en faisant la démonstration de l’efficacité de la méthode, les aides soient plus élevées.» La conclusion de la fable n’en sera que plus heureuse.

(24 heures)