Portrait – Le garde-chasse des Alpes vaudoises, Jean-Claude Roch, prendra sa retraite dans quelques jours
«On ne peut rien faire seul, car on ne sait rien, on n’apprend rien, on reste hors de la vie. Les éleveurs, les agriculteurs, les artisans sont mes alliés pour la protection de la nature.»
Image: Chantal Dervey
Bien sûr, en cet hiver bien installé, les marmottes sont endormies, tout au fond de leurs terriers des Alpes vaudoises. Mais quand même, il ne serait pas étonnant qu’à la fin de ce mois de novembre quelques-unes d’entre elles aient mis leur réveil, sortent malgré la neige et le froid, et adressent, une patte sur le cœur, l’autre s’agitant au-dessus de leur tête, un salut cordial et reconnaissant à Jean-Claude Roch, le surveillant de la faune qui s’en va à la retraite ces jours-ci. Et les chamois, les bouquetins, les bartavelles, les gypaètes, les lynx, les hermines, les lièvres variables et les faucons devraient être là aussi, à un moment ou à un autre, pour dire adieu à Roch, cet homme qui a tant fait, pendant des décennies, pour que la nature, la mosaïque du paysage gardent un équilibre vital malgré tout ce qui menace de tous côtés.
Il en est un qui pourrait raconter une anecdote révélatrice à propos de l’engagement de Jean-Claude en faveur des animaux menacés, c’est un jeune aigle qui lui doit tout simplement la vie. Un matin, un observateur des hauts des Diablerets, spécialiste des aigles qui s’appelle… Corboz (!), avertit Roch qu’il n’a plus vu, depuis deux jours, l’aiglon que ses parents nourrissaient dans leur antre, au milieu d’une falaise vertigineuse. Roch répond toujours au téléphone, même quand il n’est pas de permanence, à toute heure de la nuit et du jour. Et ses journées durent souvent plus de vingt-quatre heures. Son métier n’est pas un travail, c’est une passion absolue. Au petit matin, il s’en va sur les lieux et repère l’oiseau tombé du nid, prostré 100 mètres plus bas. Inatteignable.
Inatteignable? Non. Avec un ami, ils s’encordent, partent en un rappel spectaculaire, et remontent le petit chenapan qui avait voulu voler plus vite que ses ailes. Ils le ramènent au nid, où il passera encore trois semaines avant de prendre son véritable envol. Ce qui fait dire à Jean-Claude: «C’est parce que j’ai été informé que j’ai pu intervenir. On ne peut rien faire seul, car on ne sait rien, on n’apprend rien, on reste hors de la vie. J’ai toujours privilégié, par goût pour les gens et par nécessité professionnelle, le contact, la proximité, avec les habitants de la région. Je sais ce que vivent les éleveurs, les agriculteurs, les artisans, j’ai toujours eu besoin d’eux, qui sont dans le fond mes alliés pour la protection de la nature.» Oui, des alliés.
De la forêt, pas de la police
Autre histoire, qui image la confiance dont Roch a toujours bénéficié. «Un jour, une dame m’appelle parce qu’elle voit depuis longtemps un chamois venir brouter dans son verger. Et ce soir-là, son chamois avait une allure bizarre, elle l’a vu brouter, puis s’en aller, faire quelques pas et s’écrouler. Je lui ai dit de ne rien toucher, que je viendrais le soir même avec des collègues pour analyser la situation. Le chamois était mort, il avait une balle dans le cou. Nous nous sommes postés dans le noir et nous avons attendu.
Vers 22h30, un collègue m’a signalé l’arrivée d’une voiture roulant lentement sur le chemin forestier. Des portes ont claqué. Deux personnes, dans la pénombre, se sont approchées du chamois mort et l’ont soulevé. Nous tenions nos braconniers. Un notable romand et son épouse. Il s’est révélé que leur tableau de chasse, ou plutôt de braconne, était énorme.» Chez un passionné de nature qui avait raté son permis de chasse, il trouve les trophées de quinze chamois, des chevreuils et un lynx, le tout inscrit dans un petit carnet. Faire la police, ce n’est pas ce que Roch a préféré. «Je suis de la forêt, pas de la police.» Mais il le fallait bien.
Lui, gosse, quand il allait guetter les chamois du Suchet avant de partir pour l’école, il rêvait de devenir garde-chasse. Son père, laitier-fromager au demeurant très bon papa, voulait le voir employé de banque ou de La Poste. Le jeune Jean-Claude se chargea, bien que doué, de rater ses tests, et La Poste l’engagea quand même. Mais le papa lâcha prise et le jeune homme fut engagé comme apprenti forestier-bûcheron pour son plus grand bonheur! À capturer les lynx pour les déplacer dans d’autres régions, à endormir les bouquetins pour une étude importante qui montrera que les vieux mâles sont les meilleurs reproducteurs (et qu’il ne faut donc plus les chasser), à organiser les comptages de tétras-lyres pour en mesurer la population, à mettre sur pied les journées visant à maintenir les pâturages ouverts, à épauler les éleveurs, à chercher des solutions pour les aider à vivre avec le loup, à trouver le juste équilibre jour après jour, Jean-Claude Roch est devenu aussi présent et important dans le paysage des Alpes vaudoises que le Pic Chaussy ou le Grand-Muveran.
Le râle des genêts
Toutes ces montagnes composent son jardin. Il y vit, il y vivra, d’ailleurs. Roch est agriculteur, il a des chiens de berger, des chèvres, il prend des vaches, des chèvres et des moutons en estivage, et il est sollicité pour de nombreuses missions en lien avec sa passion de la nature. Mais la mission principale, celle qu’il a parfois dû délaisser, sans l’oublier, c’est sa famille. Il veut être plus proche de sa petite Tania, 8ans, il veut se rapprocher du père idéal qu’il avoue n’avoir pas été pour ses trois premiers enfants.
«Mais ils sont tous venus avec moi dans la nature!» Son téléphone sonne. C’est le chant du loup. Il n’y a pas longtemps, c’était la chouette de Tengmalm. Il a mis le loup pour aller à une assemblée de chasseurs en Valais. Derrière son sourire malicieux, il y a sa vie: l’avalanche dont il est sorti vivant par miracle; les tristesses au retour des sorties de la colonne de secours dont il a fait partie; la découverte du râle des genêts en altitude, et les airs d’enfants heureux des ornithologues qu’il avait avertis de la présence de l’oiseau; le Mont-Blanc, les Dents-de-Morcles; le Chaussy à skis l’hiver. Et cette phrase, pour finir: «Si j’étais né en Bretagne, j’aurais été marin-pêcheur.»
Créé: 25.11.2019, 09h39 24 heures