La démarche souple et l’oreille affûtée, le grand prédateur, toujours plus nombreux en Suisse, cherche de nouveaux territoires. Et s’approche des zones urbaines. Faudra-t-il s’habituer à sa présence en plaine?

L’affaire a de quoi surprendre. On savait que le loup transalpin avait remis la patte en Suisse depuis une vingtaine d’années. Mais on le croyait surtout tapi au fond des vallées valaisannes ou grisonnes, prêt à bondir sur les brebis. La présence d’un spécimen, retrouvé mort sur les rails dans la banlieue zurichoise il y a une dizaine de jours, change la donne. Quoi, Ysengrin, comme maître Goupil avant lui, prendrait-il le chemin des villes?

Le WWF ne cache pas sa surprise, mais relativise aussitôt la situation. «Oui, c’est étonnant, mais pas extraordinaire non plus. On sait que les loups sont capables de parcourir 60 à 80 km par jour. Dans le cas zurichois, sans doute était-ce un jeune mâle en quête d’un nouveau territoire», explique Pierrette Rey, porte-parole romande du WWF.

On compte aujourd’hui entre vingt et trente canis lupus en Suisse (vingt et un individus ont été identifiés génétiquement entre avril 2012 et mars 2014 par le KORA, organisme qui s’occupe de l’écologie des grands carnivores). Dont une meute établie dans le massif de Calanda (GR). Une population qui augmente régulièrement, mais pas si vite que ça, d’après le WWF. «Il faut beaucoup de temps, soit une vingtaine d’années, pour qu’une meute se crée et évolue. La Suisse n’est pas encore envahie par les loups contrairement à ce que prétendent certains politiciens populistes.»

Mais la bête va-t-elle surgir de toutes parts, se jeter sur les galettes et les grands-mères, comme le craignent certains chefs de chasse? Non. Mais il n’est pas exclu, le territoire helvétique étant restreint, que l’on recroise le loup sporadiquement aux abords des villes. «Rassurez-vous, il ne va pas s’installer en zone urbaine, parce que les conditions de vie n’y sont pas favorables pour lui. C’est un animal craintif qui a peur de l’homme et qui aime le gibier. Contrairement au renard, il ne va pas faire les poubelles…», conclut Pierrette Rey.

«C’est la première fois, en Suisse, qu’un loup s’approche autant d’une grande ville»

Jean-Marc Weber, inspecteur de la faune à Neuchâtel et ancien chef du projet loup.

 La présence d’un loup en ville de Zurich vous a-t-elle surprise?

Pas vraiment. On a déjà observé des spécimens près des zones urbanisées en Valais, au Tessin et dans les Grisons. Mais disons que c’est la première fois en Suisse qu’un loup s’approche autant d’une ville du Plateau. Ce qui montre que cet animal pourrait être présent partout dans notre pays. Il fait preuve en effet d’une grande faculté d’adaptation. Il y a quelques années, on avait déjà eu un lynx, qui s’était établi en forêt dans le pourtour urbain de Zurich. Ce qui est plus étonnant, le lynx étant a priori moins adaptable.

Mais s’agit-il d’un nouveau comportement ou est-ce déjà arrivé dans d’autres pays?

Rien d’inédit. Il s’agit généralement de jeunes mâles en phase de dispersion. Et la Suisse offrant un territoire restreint, le loup finit fatalement par croiser les agglomérations urbaines. En Roumanie, par exemple, le loup fréquente les villes et y circule couramment. Il y trouve de bonnes sources de nourriture, comme les chiens et les restes laissés par les hommes. Sans être un charognard strict, c’est un opportuniste généraliste.

Est-ce une situation qui risque de se reproduire de plus en plus souvent?

Comme la population de loups augmente régulièrement, les jeunes devront aller de plus en plus loin pour chercher de nouveaux territoires. Donc, oui, ce genre de situation risque de se reproduire. Mais l’animal ne s’établira pas en ville, parce que c’est un milieu assez dur pour lui. Et je ne pense pas que Berne accepte que les loups colonisent les milieux urbains…

Mais cette configuration est-elle dangereuse pour l’homme?

Pas outre mesure. Si la bête n’est ni malade ni affamée, il n’y a aucune raison qu’elle attaque l’homme. J’aurais plus de souci pour les chiens… Hormis de rares cas, le loup ne voit pas l’homme comme une proie, mais comme un fournisseur potentiel de nourriture. D’où les incidents qui se sont produits dans certains parcs nationaux nord-américains.

Faudra-il, à l’avenir, s’habituer à une nouvelle forme de cohabitation?

Il faudrait déjà que l’homme apprenne à cohabiter avec le loup en zone non urbaine, ce qui est loin d’être le cas…

© Migros Magazine – Patricia Brambilla