Procédure – Le tir d’un seul animal, même nuisible, entraîne désormais une mise à l’enquête soumise à recours.
Les préfets et les gardes-faune ont de quoi s’arracher les cheveux. Avant de tuer une corneille, il faut maintenant publier l’autorisation préfectorale en bonne et due forme dans la Feuille des avis officiels (FAO). Une autorisation qui est même soumise à des recours administratifs auprès du Tribunal cantonal pendant trente jours.
La première annonce de ce genre, parue dans la FAO de vendredi, stipule que le garde-faune auxiliaire Jean-Michel Vessaz est autorisé à abattre des corneilles autour d’une maison à Dompierre, dans la Broye… si personne ne s’y oppose. «C’est bientôt une affaire d’Etat!» se lamente le propriétaire, qui n’en peut plus de ces satanées corneilles qui viennent toquer avec leurs puissants becs contre les vitrages de sa maison. Un comportement usuel de ces volatiles, qui croient voir des adversaires dans leur reflet. «Nous ne faisons qu’appliquer la loi», se défend la Préfecture de la Broye.
Tant pis si les vitres sont griffées et si les joints se détériorent. «Nous ne pourrons pas intervenir avant trente jours. En attendant, il faut que le propriétaire trouve des moyens pour éloigner ces animaux lui-même», explique Pierre Henrioux, surveillant local de la faune. Lui, il ne commente pas la loi, son rôle est de l’appliquer. Ce délai d’un mois soumis à recours vient d’une directive, signée par la conseillère d’Etat Jacqueline de Quattro le 22 janvier 2016. «Cette directive précise et met en application la loi fédérale sur la faune, explique Laurent Cavallini, chef des gardes vaudois. Un récent arrêt du Tribunal fédéral (TF) fixe des limites aux cantons pour le tir de régulation des animaux, protégés ou non, quelle que soit l’espèce.»
Un zèle qui fait sourire
Le Canton de Vaud ne ferait donc qu’appliquer la loi. Mais son zèle fait sourire dans les cantons voisins. Fribourg a une interprétation beaucoup moins procédurière de la jurisprudence fédérale: «Les recommandations pour appliquer l’arrêt du Tribunal fédéral stipulent qu’un garde-chasse peut prendre des décisions spontanées pour la protection des individus et des biens, je cite, de valeur considérable. Nous nous basons sur cette phrase pour garder les coudées franches», explique Marc Mettraux, chef du secteur faune, biodiversité, chasse et pêche au Service fribourgeois des forêts et de la faune. Et pour assurer ses arrières, le Canton informe les organisations de protection de la nature par sa statistique de chasse et de tirs des gardes-faune. Il estime pouvoir ainsi se passer d’une mise à l’enquête.
Alors pourquoi faire tant de salamalecs sur Vaud avant d’abattre une corneille? Laurent Cavallini admet qu’il existe «des divergences entre l’interprétation de nos juristes et ceux de l’Office fédéral de l’environnement. Il y a en ce moment des discussions à l’interne, nous sommes en train d’éclaircir la situation.» Bref, le Département du territoire et de l’environnement (DTE) se demande s’il n’en fait pas trop. Des proches du dossier croisent les doigts pour un retour rapide à la raison. «Rendez-vous compte, si on doit faire des mises à l’enquête avec des recours possibles jusqu’au TF avant de tirer des renards ou des pigeons, on n’est pas sorti de l’auberge», dit l’un d’eux.
Un ami des oiseaux s’étonne
«Une mise à l’enquête pour une corneille?» demande François Turrian, vice-directeur de l’Association suisse pour la protection des oiseaux (ASPO). Même lui, l’amoureux des bêtes à plumes, tombe des nues: «Je suis étonné. Le TF a rendu son arrêt parce que le Canton de Berne exagérait sur les tirs de régulation d’espèces protégées, comme le héron cendré ou le harle bièvre. Pas la corneille.» On sait au moins que l’ASPO ne fera pas recours contre le tir de régulation mis à l’enquête vendredi. (24 heures)