Le loup tue la biodiversité Bruno Lecomte


Le Secrétaire général du Copa-Cogeca, Pekka Pesonen, a déclaré:

“La Commission européenne fait la sourde oreille face aux avertissements de la communauté agricole. Nous avons donc décidé de sortir de cette Plateforme. Nous avions adhéré à la Plateforme sur la coexistence entre les humains et les grands carnivores car nous pensions que cela permettrait d’apporter des réponses. Toutefois, aucune solution n’a été trouvée. La Plateforme se concentre sur les bonnes pratiques afin de préserver les grands carnivores au lieu d’essayer d’identifier des solutions pour améliorer la situation des communautés rurales de ces zones. C’est inadmissible. Les attaques contre les troupeaux sont en augmentation, notamment dans des pays comme la France, la Finlande et la Suède”.

«Le loup peut très bien recoloniser entièrement le territoire»

L’historien Jean-Marc Moriceau retrace le parcours sanglant du loup en France. 8 000 morts en 250 ans, et ce n’est peut-être pas terminé…

Où l’on redécouvre que le loup est bel et bien un loup pour l’homme. Pointilleux biographe de la bête dans son atlas, l’historien Jean-Marc Moriceau retrace de façon quasi exhaustive sa présence passée et actuelle en France. Balayant le politiquement correct sur l’autel de la science, le chercheur plaide pour que l’immigration du loup, réapparu il y a tout juste vingt ans (1), soit plus contrôlée.

«Sud Ouest Dimanche». Vous expliquez que la dynamique de recolonisation n’a pas lieu de s’arrêter. Y aura-t-il donc bientôt, comme autrefois, des loups partout en France ?

Jean-Marc Moriceau. Le loup est déjà de retour dans un quart de nos départements (comme le Gers dans le Sud-Ouest). Et si l’on ne change pas son statut, il peut très bien recoloniser entièrement le territoire. À condition toutefois que le braconnage cesse, puisque les scientifiques estiment qu’il détruit entre 25 et 60 % de la population. Sans cela, d’ailleurs, il n’y aurait pas 300 loups en France, mais au moins 700.

Au fil des milliers d’attaques que vous recensez depuis le Moyen Âge, la présence du loup illustre, selon vous, les failles et les faiblesses de l’État. Le loup moderne va-t-il s’adapter à l’homme moderne ?

Le loup, qui vit en meute, est un animal très intelligent, opportuniste, capable de déjouer les pièges et de contourner les obstacles. Il ne doit sa survie qu’au calcul très habile du rapport de force qu’il entretient avec l’homme. Chaque fois que nous avons été divisés, il a gagné en audace. Qu’il s’agisse des périodes de guerres civiles ou bien, comme aujourd’hui, des divisions qui agitent à son sujet écologistes et pastoralistes, État et collectivités locales. L’animal sait à merveille jouer de ce phénomène « frontière ».

Là est sans doute la grosse différence avec l’ours des Pyrénées…

Oui, mais rappelons surtout que l’ours, lui, ne s’en prend à l’homme que s’il est vraiment acculé dans sa tanière.

Le loup mangeur d’hommes ne montre donc pas ses crocs que dans les contes pour enfants… Pourrait-il à nouveau passer à l’acte ?

J’ai recensé près de 8 000 victimes du loup en France, dont beaucoup tuées entre la fin du XVIe siècle et le début du XIXe… Soit en à peine deux cent cinquante ans. Essentiellement des attaques de bêtes enragées ou de prédateurs, c’est-à-dire des loups solitaires écartés de leur meute. Si le risque aujourd’hui est faible, on ne peut pas l’exclure, même si nos enfants ne gardent plus les vaches, s’ils vont à l’école, et même si les armes à feu ne sont pas aussi rares qu’autrefois. Ne tombons pas dans l’inquiétude généralisée, le rapport de force a changé. Mais ne sombrons pas non plus dans le négationnisme. Souvenons-nous que, chaque année, des fillettes sont dévorées en Inde, que l’on note des incidents en Amérique du Nord, en Irak et en Roumanie, et rappelons-nous enfin que le loup tuait encore quelques enfants au Portugal et en Galice dans les années 60.

Mais si le loup hantait autrefois les nuits des enfants, ceux-là – et leurs parents – ne le considèrent plus aujourd’hui que comme une gentille peluche…

Lorsque, en 1697, Perrault écrit «Le Petit Chaperon rouge», la France connaît un pic d’attaques d’enfants. Une peur qui restera viscérale jusqu’à la fin du XIXe siècle, d’autant que la presse n’a jamais manqué de la cultiver en publiant des gravures terrifiantes. Si les deux ou trois générations suivantes ont conservé le souvenir d’un loup dangereux, celles nées après 1950 oublieront vite cette réalité, baignées notamment dans l’imaginaire du Grand Nord américain que véhiculaient les romans. Sauf qu’aujourd’hui la pédagogie détruit l’image du méchant loup jusque dans la littérature enfantine, pour en faire une créature gentille à l’extrême. Cela n’a pas de sens. Le loup est un loup, il n’est ni gentil ni méchant. L’opinion publique aura donc été instrumentalisée et caressée dans les deux sens du poil. Il est sain d’avoir peur du loup, mais faut-il encore que ce soit une peur raisonnée.

Vous décrivez l’homme et le loup tels des «ennemis nés il y a trente mille ans». Si leur cohabitation n’a jamais été possible, comment pourrait-elle le devenir aujourd’hui, notamment chez les éleveurs ?

Vivre ensemble est en effet utopique, mais cohabiter ne l’est plus. Puisque le loup est protégé à l’échelle mondiale, cela suppose qu’il doit être strictement régulé là où il pose de gros problèmes. Il faut une gestion différenciée, et d’abord arrêter de faire croire que les enjeux sont les mêmes parmi les grands espaces dépeuplés et au beau milieu d’une région d’élevage. Hélas, une certaine loi du silence nous empêche de dire que la situation est également très tendue en Italie et en Espagne. On considère que le loup est un problème français et qu’ailleurs les choses se passent bien. C’est entièrement faux, même si, chez nous, sa gestion se révèle encore plus inefficace. Tout le monde a une idée sur le loup – en général très favorable – mais personne ou presque n’a à en payer les conséquences.

Vous militez donc pour une augmentation des tirs de prélèvement ?

Avec l’appui des chasseurs, oui. Et je suis également favorable à des zones d’exclusion permanente, comme cela est le cas dans les Cévennes, pour mieux cantonner le loup dans des régions où il y a beaucoup de gibier. Certes, il y aura toujours des dommages collatéraux, mais il est des zones où le loup n’a plus sa place, notamment lorsqu’il pèse trop sur la vie des bergers. On parle beaucoup de biodiversité, mais la biodiversité, c’est aussi avoir des moutons qui pâturent en montagne. Sans parler du loup qui désormais se balade en Haute-Marne et même dans l’Aube… Si l’on ne fait rien, vous verrez que de gros syndicats agricoles ne vont pas tarder à s’en mêler eux-mêmes. Déjà, d’ailleurs, les gens des villes commencent à moduler leur opinion. Quand le loup s’approche, il est vite moins gentil…

Mais à trop vouloir réguler sa présence, ne risque-t-on pas de l’éradiquer à nouveau de notre paysage ?

Non, car en Europe le loup n’a rien d’une espèce en voie de disparition, et encore moins dans le monde. En disant cela, j’invite simplement les anti et les pro- loup à faire davantage preuve de nuance. Car, sinon, pourquoi ne pas carrément réfléchir à la réintroduction du lion? Après tout, celui-ci frayait encore dans nos contrées quelques milliers d’années avant Jésus-Christ.